Chapitre 22
La conférence de presse débuta peu après 15 heures cet après-midi-là. Je doutais qu’Adam ait transmis un communiqué aux journalistes, mais ils savaient de toute évidence qu’il s’apprêtait à annoncer une nouvelle d’importance parce qu’on interrompit le programme local et les programmes nationaux également pour retransmettre son intervention. Après tout, c’était une sacrée bombe qu’il était sur le point de larguer.
Andy et moi assistâmes à la conférence depuis mon salon. La tension nous paralysait et nous n’avions pas échangé un mot depuis environ trois heures. Ce qui valait probablement mieux. L’angoisse met parfois les gens de mauvaise humeur et c’était mon cas. En nous taisant tous les deux, il y avait beaucoup moins de chances que je sorte une ânerie.
Adam passait bien à la télévision. Je l’avais déjà vu donner une conférence de presse, mais je fus de nouveau frappée par sa beauté virile et son aura d’assurance tranquille. Il portait un costume sombre et une cravate classique à rayures, ses airs de mauvais garçon complètement enterrés sous un vernis de respectabilité. C’était un côté d’Adam que je voyais rarement et je comprenais plus facilement comment il avait pu atteindre un rang aussi élevé dans la police de Philadelphie.
Les flashs crépitèrent quand il monta sur l’estrade plantée de micros comme autant d’herbes folles. Les voix qui murmuraient au second plan avant qu’il apparaisse se turent comme si la foule retenait son souffle pour écouter ce qu’il avait à dire. Il posa une feuille de papier – sa déclaration rédigée – sur le pupitre avant de jeter un rapide coup d’œil dans la salle. Je suppose qu’il essayait de voir si quelqu’un allait tenter de l’empêcher de parler au dernier moment, mais personne n’intervint.
— Bonjour, dit-il en balayant l’assistance devant lui d’un long regard inquisiteur avant de baisser les yeux sur sa feuille. Comme beaucoup d’entre vous le savent, je suis un démon. Je suis également le directeur des Forces spéciales de Philadelphie et un citoyen officiel des États-Unis. Malgré tout, en tant que démon, je demeure un citoyen du Royaume des démons. Les divergences d’opinions existent au Royaume des démons, tout comme elles existent au sein de la classe gouvernante des États-Unis. Et à l’instar de ce qui se passe dans votre pays, les lois et les décisions prises au Royaume des démons changent lorsqu’un nouveau gouvernement se met en place. Le trône a récemment changé de main.
La foule n’était plus aussi silencieuse et un murmure insistant commençait à s’élever. Je pris conscience que je serrais les mains sur mes genoux assez fort pour que mes doigts se soient vidés de leur sang. Je m’obligeai à me détendre.
— C’est la raison pour laquelle, poursuivit Adam comme si le brouhaha de la foule ne le touchait pas, j’ai été chargé de lever le doute au sujet d’une ambiguïté qui a été entretenue aux États-Unis – et dans d’autres pays. Une ambiguïté que notre ancien roi a favorisée et encouragée afin de protéger les démons qui vivent sur la Plaine des mortels.
Le murmure de la foule était plus fort à présent. Si le public ne s’était pas douté qu’une bombe allait être larguée, il n’avait maintenant plus aucun doute.
Adam leva les yeux de son discours pour affronter les visages des personnes rassemblées devant lui, tandis que le crépitement des flashs s’intensifiait. Il parcourut de nouveau l’assistance du regard puis se concentra sur la caméra comme s’il regardait droit à travers jusque dans les salons de tous ceux qui étaient devant leur poste de télévision.
— Afin de protéger notre peuple, nous vous avons fait croire que l’exorcisme nous tue.
Adam dut alors hausser le ton pour être entendu de la foule. Les coins de ses yeux et de sa bouche étaient crispés. Cette conférence de presse ne devait pas être facile pour lui et je me demandais à quel point il se mettait en danger. Les partisans de Dougal avaient déjà sûrement dû essayer de l’éliminer mais, en tant que porte-parole de ces nouvelles dévastatrices, il allait probablement attirer l’attention de tous les fanatiques – pro et anti-démons – du pays.
— En vérité, poursuivit-il en regardant toujours droit vers la caméra, quand nous sommes exorcisés, nous retournons au Royaume des démons. Indemnes.
La salle explosa ; tous criaient des questions en même temps. Adam leva les mains pour ramener le silence, mais il fallut un certain temps avant qu’il réussisse à rétablir quelque chose qui y ressemblait très vaguement. Le bruit de fond était encore d’un volume assez élevé quand il reprit la parole.
— Je suis conscient que cette révélation va provoquer un choc. Je comprends également que beaucoup d’entre vous vont être troublés par l’idée que les démons ne sont pas punis pour leurs crimes, comme vous l’avez toujours cru. Mais soyez assurés qu’il existe un système judiciaire au Royaume des démons et que ce n’est pas parce que nous ne sommes pas tués par l’exorcisme que nous ne sommes pas punis par ailleurs.
J’avais le sentiment que Raphael avait demandé à Adam d’ajouter cette dernière partie. Il n’existait pour le moment aucune punition pour les démons ayant commis des crimes sur la Plaine des mortels, mais cela changerait si Lugh remontait sur le trône.
Le vacarme monta de nouveau en volume, et davantage de questions fusèrent. Adam haussa le ton seulement pour être entendu.
— Je vous demande également de garder à l’esprit que la grande majorité des démons qui sont actuellement exorcisés le sont pour des crimes qui seraient loin d’être sanctionnés par la peine de mort si les coupables étaient des humains.
Les questions fusaient à présent si rapidement et si fort qu’Adam devait crier pour couvrir le bruit. Il dit autre chose dans le micro, mais je ne pus distinguer ses paroles. Puis il quitta l’estrade et se glissa par une porte de côté, sa sortie discrètement gardée par une escorte de policiers.